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Guillaume Bardet

Paradoxe d'un designer

Il y a dans la cour de ma maison de famille, une plaque de pierre, mal taillée, posée en équilibre sur une souche, qui fait office de table basse. Je l'ai toujours connue. L'hiver, presque invisible, elle trône pourtant, seule au milieu du jardin. L'été, on y installe des bancs et la vie de la maison toute entière tourne autour, à l'ombre du platane. Cette installation a vu des générations disparaître, d'autres apparaître : elle est imperturbable au temps, au vent, à la pluie, à la glace.

De meuble, elle est devenue immeuble. D'objet, elle est devenue architecture.Elle est devenue partie intégrante de la maison.

Elle est devenue la maison.

 Pourtant elle n'est pas pratique : trop petite, branlante.Pas bien belle. Mais elle a survécu aux caprices du temps.

Sans doute parce que sa principale qualité est d'être immobile, presque invisible et parce que non dessinée, elle est vierge de tout signe d'obsolescence. Elle est entrée dans notre musée familial : inamovible, indémodable.

Simplement peut-être parce qu'en pierre, elle est indestructible et très difficile à transporter. Sûrement aussi parce que la pierre taillée porte l'empreinte d'une humanité. Le petit banc en pierre du XVIe siècle est le parfum d'une époque. La trace d'une balle dans la pierre, cicatrice d'une guerre. Une pierre noircie, mémoire d'un incendie.

 

Travailler la pierre

Vouloir travailler la pierre, c'est vouloir prendre une respiration par rapport à la quotidienneté de ma création : ce matériau inusable interroge mes processus de travail, mes réflexes de concepteur.

Je suis soudain contraint de me dégager d'une vision du présent trop présente.

 

A la création d'un équilibre magique

l'Italie a la chance d'avoir une variété considérable de pierres.Il y a l'inévitable travertin, " la " pierre romaine, le marbre de Carrare… Des pierres que je veux découvrir, chacune avec son histoire, ses connotations, son poids symbolique, pour savoir comment les utiliser avecpertinence.

 

Une confrontation physique

Une pertinence que je veux travailler à la fois du point de vue symbolique, mais aussi physique, immédiat, dans le rapport que la pierre entretient avec l'environnement puisque c'est vers le mobilier extérieur que je veux diriger la recherche. C'est là, il me semble, que ce matériau prend tout son sens parce qu'il vit avec letemps.

 Fort peu exploité par le design contemporain, le meuble de pierre " implanté " à l'extérieur, immobile, bouscule les codes établis du design mobilier et situe la recherche que je souhaite mener au croisement de l'architecture, de la sculpture et du design. L'art de vivre à l'extérieur en Italie constitue un contexte favorable à cette articulation entre l'espace extérieur et l'objet mobilier. Ma recherche sera proche de la confrontation physique. Un combat qui ne peut s'exécuter que grandeur nature.

Une recherche émotionnelle sur le sens, sur les sens au-delà de l'objet, de la fonction, de l'équilibre et du déséquilibre. Une recherche d'un jeu sur l'immobilité, à l'image de ces roches branlantes, devant lesquelles le promeneur est saisi par la force d'une pierre figée, puis, en la touchant, constate que cette pierre bouge, qu'elle est fragile et redoute qu'elle bascule, et qui finalement se rend compte qu'imperturbable, elle revient à sa place.

 

Guillaume Bardet, Paris Avril 2002

sujet présenté pour l'admission à la Villa Médicis, Académie de France à Rome

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